
Bienvenue sur le site muthologia.fr. Vous trouverez sur cette page un lot de questions intéressantes au sujet de la mythologie en général, avec la gréco-latine qui en constitue la cible principale. Les réponses reflètent uniquement les points de vue et les réflexions du concepteur de ce site. Il n’y a absolument aucun recours à « l’Intelligence Artificielle » ici, ni dans aucun autre endroit relatif au site muthologia.fr.
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Table des matières
- Que signifie le mot « mythologie » ?
- Y a-t-il une différence entre un mythe et une légende ?
- Y a-t-il du vrai dans la mythologie ?
- Cela a-t-il un lien avec la mythologie le fait que le mot « mytho » désigne un menteur ?
- Mythologie et religion, est-ce la même chose ?
- À quoi sert la mythologie ?
- Expliquer le fonctionnement du monde
- Interagir avec la religion
- Expliquer et refléter des pratiques sociétales
- Fournir un passé pseudo-historique
- Intégrer des éléments étrangers au niveau culturel et pseudo-historique
- Illustrer des tabous de la société
- Entretenir et faire progresser des styles littéraires
- Divertir et stimuler l’imagination
- D’où vient concrètement le contenu de la mythologie grecque dont nous disposons aujourd’hui ?
- La mythologie grecque est-elle incomplète ?
- Mythologie grecque ou gréco-latine ?
- La mythologie gréco-latine a-t-elle subi des transformations notables à travers les siècles ?
- La mythologie gréco-latine est-elle aussi désordonnée qu’on le dit ?
- Quelles sont les origines lointaines de la mythologie grecque ?
- Y a-t-il plusieurs niveaux de lecture de la mythologie gréco-latine ?
- Qu’est-ce qui caractérise la mythologie gréco-latine dans les grandes lignes si on devait résumer ?
- Et les autres mythologies alors ?
- Et la « mythologie arthurienne » dans tout ça ?
- Peut-on parler de « mythologie » aujourd’hui par rapport à des productions de notre époque ? Par exemple au sujet du « lore » d’une œuvre littéraire ou cinématographique ?
Que signifie le mot « mythologie » ?
Définition générique
Une définition des plus génériques qu’on pourrait donner au mot « mythologie » serait celle d’un ensemble de mythes et de légendes en lien avec une culture de l’Histoire humaine. Cependant, cette définition possède deux inconvénients : elle met plus l’accent sur le périmètre que sur le concept, et elle repose sur d’autres termes (« mythes », « légendes », « culture », ou « civilisation » qui est parfois utilisé) dont il faut connaître le sens pour se faire une idée de quoi il est question. Or, il s’avère que tous ces termes ne sont pas forcément aisés à définir de manière claire et stricte.
Définition étymologique
Quand on souhaite comprendre le sens profond d’un mot, et cela malgré les transformations sémantiques et les détournements dont il a fait l’objet à travers l’Histoire humaine, rien ne vaut le recours à l’étymologie (l’étude de l’origine des mots) qui permet de replacer un mot par rapport à son origine la plus lointaine connue (du moins quand elle est traçable), et donc à une sorte de sens premier (qui n’a jamais réellement disparu en soi puisque le mot est encore existant et en garde la trace, qu’il soit employé ou non).
Étymologiquement, le terme « mythologie » est un mot d’origine grecque ancienne :
- « μυθολογία » en minuscules grecques avec diacritiques
- « muthología » en lettres latines avec diacritiques
- « ΜΥΘΟΛΟΓΙΑ » en majuscules grecques sans diacritiques
Les plus anciennes traces connues de ce terme se trouvent notamment dans certaines des œuvres de Platon (vers 428/427-347 av J.C), à savoir République (III, 394b) et Critias (110a).
Ce mot « mythologie » est lui-même composé de deux termes grecs anciens :
- « muthos » (du grec ancien « μῦθος » / « mûthos ») qui peut se traduire par « parole » ou « récit »
- « logos » (du grec ancien « λόγος » / « lógos ») qui a de multiples sens (qu’aucun mot français ne peut recouvrir seul), mais l’un de ces sens se distingue un peu du lot, et permet d’aboutir à une traduction conceptuelle par le mot « discours »
Ainsi, on pourrait donc définir la mythologie comme le discours des récits ou de la parole, ou bien le discours par les récits ou la parole. Cette définition a non seulement l’avantage de tenir compte de l’origine du mot, mais également de se focaliser plus sur le concept du terme (et donc son sens) que sur son périmètre. Néanmoins, un léger point faible repose sur le concept de traduction, ou plutôt d’équivalence, qui est à double tranchant, car il est toujours délicat de trouver un mot contemporain correspondant fidèlement à un mot antérieur de plusieurs millénaires et qui appartient à un autre contexte historique vécu par d’autres personnes. Sans parler du fait que le mot a pu être employé dans plusieurs contextes dès ses origines, donc avoir pris plusieurs sens, auquel cas il peut être facile de s’y perdre quand on remonte les ascendances étymologiques. Par ailleurs, il convient de souligner que si l’étymologie est essentielle pour comprendre le sens profond d’un mot, cela n’affranchit pas du fait de devoir tenir compte en plus du contexte dans lequel ce mot est apparu et a été utilisé, car c’est cette combinaison qui permet de bien préciser les choses.
Y a-t-il une différence entre un mythe et une légende ?
Oui, subtile mais assez importante quand on cherche à aller vraiment dans le détail. Toutefois, cette différence est aujourd’hui largement occultée, ce qui fait que les deux termes sont utilisés de façon interchangeable, notamment en matière de mythologie. Il est donc intéressant d’aller un peu dans les détails pour comprendre ce qui distingue un mythe d’une légende.
Légende
Le mot « légende » a plusieurs sens à notre époque. Ici, il est question de son contexte en lien avec la mythologie.
Étymologiquement, le terme vient du latin de l’époque médiévale européenne (476-1453) à travers le mot « legenda » qui remonte au moins à la fin du XIIème siècle dans le contexte des écrits chrétiens. Il n’est donc pas antique au sens chronologique, bien qu’il vienne lui-même d’un mot bien plus ancien, mais ce n’est pas le propos. Le terme « legenda » signifiait à l’époque « chose à lire » ou « chose devant être lue » dans le contexte médiéval chrétien. Un sens très large en soi, auquel il pourrait être très aisé au premier abord d’associer tout le contenu de la mythologie grecque en l’état, ce qui n’aide guère à y voir plus clair. D’autre part, ce sens initial semble impliquer un rapport exclusif à la lecture. Or, on imagine pas forcément une légende liée uniquement à un support écrit, car il y a aussi le support oral qui est d’ailleurs fondamental en matière de mythologie. C’est ici un exemple que le sens d’un mot va de pair avec un contexte pour bien le comprendre. Ce sens initial médiéval d’une légende ne suffit donc pas pour être appliqué tel quel à la mythologie. Et c’est normal, car le mot « legenda » a aussi donné naissance à d’autres sens au fil du temps. Il convient donc de préciser davantage le propos en plus de l’étymologie, mais avec des critères d’analyse contemporains pour bien s’y retrouver.
Une légende peut être définie comme une histoire (ou un récit) qui s’inscrit dans le passé, qui s’est transmise à travers les générations humaines, qui sublime le réel en le modifiant dans la forme avec des détails de l’ordre de l’incroyable et dans lesquels a été dilué un pan de réalité historique passée qu’il est compliqué de retrouver et de cerner avec certitude.
Si l’on part de cette définition pour le mot « légende », divers épisodes de la mythologie grecque peuvent rentrer dans ce cadre, comme par exemple la guerre de Troie.
Mythe
Étymologiquement, le mot « mythe » est l’un des deux termes sur lequel repose la mythologie. Il tire son origine initiale du grec ancien « μῦθος » / « mûthos », et peut se traduire par « parole » ou « récit ». Il remonte à l’Antiquité (vers 3300 av J.C – 476 ap J.C), au moins au VIIIème siècle av J.C, car on le retrouve dans l’Iliade (IX, 443) sous la forme « μύθων » / « mûthôn ». Le terme est donc largement antérieur à celui de « légende » qui est médiéval. Ce sens étymologique englobe de fait toute la mythologie, ce qui est normal puisque cette dernière est littéralement le discours des mythes, mais il peut aussi incorporer les légendes elles-mêmes en l’état. Il convient donc là-aussi de préciser davantage le propos en plus de l’étymologie, mais avec des critères d’analyse contemporains pour bien s’y retrouver.
Un mythe peut être défini comme un récit, qu’importe ses détails de forme (fabuleux ou non), destiné à expliquer et illustrer des concepts fondateurs essentiels pour une société humaine ou un groupe d’humains.
Si l’on part de cette définition pour le mot « mythe », divers épisodes de la mythologie grecque peuvent rentrer dans ce cadre. Par exemple, le mythe du sacrifice bovin entre Zeus et Prométhée dans la Théogonie qui explique le pourquoi du comment doivent être partagées les victimes animales des sacrifices dans le cadre des pratiques religieuses.
Résumé
Ainsi, un mythe a plus une vocation didactique en lien avec un besoin d’explication, là où une légende transmet des évènements passés en les mélangeant avec plusieurs détails incroyables où le contexte réel initial se retrouve dilué. On pourrait presque dire que le mythe met plus l’accent sur le fond et la légende sur la forme.
La mythologie gréco-latine contient les deux éléments dans les faits, et il n’est pas forcément pertinent de vouloir faire deux rubriques séparant hermétiquement les récits mythologiques en deux cases. Cela d’autant plus que les deux ne s’excluent pas forcément selon les récits, car certains d’entre eux peuvent être à la fois légende et mythe selon l’angle d’analyse adopté. Prenons un exemple pour illustrer le propos avec le deuxième travail d’Héraklès qui affronte l’Hydre de Lerne : mythe ou légende ? On peut y voir une légende au premier abord : la partie réelle reposant sur le fait que Lerne est une véritable zone géographique de la Grèce faisant partie intégrante de l’Histoire grecque, et qui possède effectivement des marais. Les détails fantastiques étant la créature serpentesque monstrueuse vaincue par le demi-dieu Héraklès à la force surhumaine et son neveu Iolaos. On pourrait même voir dans l’aspect des têtes du monstre qui repoussent sans cesse un habillage fabuleux pour illustrer et garder en mémoire le fait que les habitants de la région pendant l’Antiquité durent souvent avoir à faire à des serpents vénimeux qui vivaient dans la zone marécageuse. Si l’on se tient à cet angle de vue, le deuxième travail d’Héraklès est donc une légende. Mais si l’on change de perspective, ce récit peut aussi être un mythe. En replaçant cet épisode dans l’une des finalités des travaux du héros, à savoir l’action de détruire plusieurs des dernières forces instables de la nature (incarnées par des créatures monstrueuses notamment) qui remettent en question l’ordre établi par Zeus, le combat contre l’Hydre de Lerne devient alors un mythe. La mort de cette dernière (qui devient une constellation au passage) étant un fait supplémentaire justifiant la préséance absolue de l’ordre établi par le souverain des dieux quand il prit le pouvoir sur le monde, ordre qui avait cours dans l’esprit des anciens Grecs. Comme pour tout, le point de vue adopté change la donne.
Malgré tout cela, opérer la subtilité entre mythe et légende reste néanmoins très intéressant quand on cherche à comprendre la structure (souvent multiple), la portée et le sens profond d’un récit de la mythologie.
Y a-t-il du vrai dans la mythologie ?
Répondre de manière unilatérale et péremptoire dans un sens à cette question serait extrêmement malhonnête et passerait à côté de bon nombre d’aspects. Comme pour tout, la réponse est oui et non, et avec toutes les nuances et variations possibles dans les deux cas. Tout dépend de l’angle de vue adopté, de ce que l’on cherche, de sa propre subjectivité qui est forcément présente dans la phase d’interprétation, et du périmètre d’analyse. La définition générique du terme « légende » évoqué plus haut montre par exemple qu’il est aisé de mêler l’incroyable et le réel dans un mélange où il devient compliqué de retrouver le deuxième point. Rien que cela illustre le concept de oui et de non en parallèle. Adoptons ici une approche assez neutre pour illustrer le propos et marquer la complexité de cette question qui est pourtant simple dans sa formulation.
La mythologie grecque (et gréco-latine par extension) contient de fait bon nombre d’éléments invraisemblables en soi. Si l’on se place au niveau du savoir scientifique issu des XXème et XXIème siècles par exemple, les contradictions sont très nombreuses. Même sans tenir compte des divinités supérieures aux mortels, il est extrêment difficile de croire qu’il ait pu exister des hommes à la force gigantesque pouvant séparer la terre pour faire un détroit marin, pouvant voler, massacrer en chaîne des corps d’armée sans jamais être fatigué, se rendre dans les entrailles de la terre, ou pouvant même échapper à des lois naturelles comme la mort. Sans parler des créatures aux allures fantastiques. Il n’y a d’ailleurs même pas besoin de se référer à l’époque contemporaine pour illustrer cet aspect, car la Grèce ancienne le porte déjà en elle-même : citons le cas de l’auteur Paléphatos qui vécut au IVème siècle av J.C, et qui dans ses Histoires incroyables donnait une explication plus rationnelle pour bon nombre d’épisodes mythologiques. Par exemple, l’Hydre de Lerne pour Paléphatos était une citadelle commandée par le tyran Lerne (ayant donné son nom à la région), et qui fut détruite par les forces militaires d’Héraklès.
Mais en parallèle, la mythologie grecque (et gréco-latine par extension) contient également bon nombre d’éléments vraisemblables, et divers fonds de réalité, ou de source d’inspiration, qu’on peut parfois appréhender assez aisément malgré l’habillage souvent fantastique. Par exemple les données géographiques sont très souvent avérées en combo avec l’archéologie, ce qui témoigne d’un degré de réalité concrète dans les données de la mythologie grecque. On peut également citer le cas des Cyclopes : il existe une maladie génétique appelée « cyclopie » qui se caractérise par le fait d’avoir un seul œil (les deux orbites ont fusionné) et qui peut toucher les êtres humains et les animaux. Bien qu’on ne puisse pas affirmer péremptoirement que ce soit bien la source d’inspiration derrière ces créatures mythologiques (si ce n’est pas le cas ce serait une coïncidence), il n’empêche qu’il y a un lien étonnant avec un élément concret du réel (même si ce dernier reste rare). Par ailleurs, ce qui est mensonge pour l’un peut être vérité pour l’autre et vice versa. Même si l’on ne peut pas savoir ce que pensaient personnellement tous les anciens Grecs dans leurs croyances personnelles à l’époque, il suffit qu’il y ait eu certaines personnes ayant cru à une partie des récits mythologiques pour donner de la véracité à l’ensemble. À noter que cela peut aussi s’appliquer à des êtres humains de notre époque, avec une ou plusieurs personnes qui croiraient en eux-mêmes à la véracité de récits mythologiques grecs.
En résumé, essayer de répondre par oui ou par non à cette question n’est vraiment pas le bon angle d’approche. Voir la mythologie gréco-latine simplement comme un lot de mensonges du passé, ou comme des histoires véridiques pouvant conduire à des croyances religieuses, ou encore comme de simples histoires divertissantes et/ou violentes, c’est passer à côté de la richesse multiple qu’elle contient et de ce qu’elle représente. La mythologie gréco-latine est avant tout un ensemble singulier de données appartenant au savoir de l’humanité, ayant de multiples utilités (voir plus bas), et témoin d’une partie de l’Histoire qu’ont vécue certains groupes humains dont nous avons hérité une partie des connaissances. Elle ouvre ainsi une fenêtre sur le passé pour mieux le comprendre, mais aussi des ramifications avec le présent étant donné que la mythologie gréco-latine est toujours présente et utilisée dans bien des aspects de nos vies sociétales, sans qu’on en est forcément conscience d’ailleurs. C’est donc en variant les points de vue qu’on peut profiter de manière optimale de ce qu’a à offrir la mythologie.
Cela a-t-il un lien avec la mythologie le fait que le mot « mytho » désigne un menteur ?
La réponse à cette question est à la fois non et oui. Il convient de préciser les choses sur ce point pour comprendre pourquoi.
Le terme « mytho » est une abréviation de « mythomane » qui fait référence lui-même au concept de « mythomanie ». Ce dernier terme repose sur la combinaison des mots grecs anciens « μῦθος / mûthos » et « μανία / mania » qui se traduit par « manie » pour le deuxième. Malgré l’usage de racines grecques anciennes, le mot « mythomanie » est de création contemporaine, car il est apparu dans le milieu psychiatrique du XIXème siècle via le psychiatre allemand Anton Delbrück (1862-1944) en 1891. Ce terme fut ensuite repris et développé par le psychiatre et aliéniste français Ernest Dupré (1862-1921) dans le cadre de la description de l’hystérie comme maladie. La mythomanie devint ainsi un mot pour désigner le comportement d’une personne qui a tendance à altérer la réalité et/ou à mentir, parfois de façon compulsive. Son usage est donc plus de l’ordre du psychiatrique, faisant qu’il n’y a pas de lien direct avec la mythologie.
Cependant, il y a bel et bien un lien entre « mythomanie » et « mythologie », mais indirect. C’est bien entendu l’étymologie du mot « μῦθος / mûthos » qui relie les deux termes. Ce mot peut se traduire par « parole » ou encore par « récit », mais il a d’autres sens de forme possibles, notamment celui de « fable ». Ici, c’est vraisemblablement l’aspect incroyable des mythes et légendes de la Grèce ancienne qui a servi de référence dans le choix de ce mot comme préfixe de « mythomanie » au sein d’une démarche psychiatrique dans le contexte du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Il est à noter que le fait de se focaliser sur la forme incroyable des mythes et des légendes grecques pour les faire passer dans la perspective du mensonge ne date pas d’hier. Comme évoqué dans la question précédente, les choses sont bien plus complexes que ça, car les facteurs d’analyse à ce sujet sont multiples. En tout cas, dès l’Antiquité, d’autres tentatives d’analyse et d’explication du monde donnèrent naissance à divers concepts s’éloignant fortement des mythes dans la forme.
Concluons la réponse à cette question en prenant l’aspect purement étymologique de « mythomanie », qui est littéralement la « manie de faire des mythes ». De ce point de vue strict, bon nombre de compositeurs de la Grèce antique et de la Rome antique rentrent dans cette définition. À nouveau, tout dépend de la perspective adoptée, donc du contexte, au niveau de l’emploi et de l’analyse du mot « μῦθος / mûthos ».
Mythologie et religion, est-ce la même chose ?
Non, mais les deux notions ont des liens assez étroits à bien des endroits (voir plus bas l’un des rôles de la mythologie à ce sujet). Que ce soit la mythologie ou la religion, donner une définition précise n’est pas chose aisée (d’autant qu’il y a plusieurs sens), mais il faut essayer de s’adonner à l’exercice pour essayer de comprendre les différences entre les deux termes. Concernant la mythologie, cela a été fait plus haut. Pour ce qui est de la religion, le mot vient du latin « religio », déjà employé à l’époque de l’orateur romain Cicéron (106-43 av J.C), mais dont le sens étymologique initial n’est pas certain et fait débat. Si l’on part sur une définition plus générique, la religion peut être définie comme un ensemble de croyances et de rites basés sur une foi visant à définir le monde et s’exprimant dans le cadre de cultes codifiés au niveau d’un groupe d’humains partageant cet ensemble. Le lien le plus étroit de la religion avec la mythologie se situe au niveau de la définition du monde. Voici un exemple d’illustration simple du propos pour bien apprécier la différence entre mythologie et religion : faire des prières, des offrandes et des sacrifices animaux à Zeus dans des cérémonies et des fêtes, c’est de la religion, et expliquer pourquoi on vénère Zeus et quelle place il occupe dans le monde, c’est de la mythologie (au service de la religion ici).
À quoi sert la mythologie ?
Définir la mythologie, étymologiquement et/ou génériquement, n’est pas suffisant pour bien apprécier ce qu’elle représente. Il faut pour cela se poser la question de son utilité en y adjoignant son contexte d’utilisation qui inclut diverses thématiques. Attardons-nous spécifiquement sur la mythologie grecque. La liste présentée ici n’est pas exhaustive en soi, mais devrait recouvrir les points les plus consistants dont certains (notamment le premier) s’appliquent à toutes les mythologies du monde.
Expliquer le fonctionnement du monde
L’être humain n’a pas attendu la philosophie pour se poser des questions ni les sciences contemporaines pour essayer d’expliquer le monde où il évolue. C’est une pratique humaine qui remonte aux origines de l’humanité pendant la Préhistoire. La mythologie (au sens large) a dû être l’un des premiers moyens dans ce but. Il s’agit là de la première utilité de la mythologie (et de toutes les mythologies par extension), la plus significative, à savoir fournir une explication au fonctionnement du monde dans ses divers aspects. Par exemple le cycle solaire, le cycle des saisons, comment naissent les tempêtes, ou encore de manière plus globale la façon dont est apparu le monde. Ces diverses explications fournies par les mythes sont bien entendues relatives au contexte de l’époque de leur conception qui a influencé leur forme. Il s’agit d’une utilité de la mythologie qui permet de faire des comparaisons instructives entre les diverses mythologies du monde et donc les cultures auxquelles elles sont liées.
Interagir avec la religion
L’un des rôles fondamentaux de la mythologie grecque se situe dans ses interactions avec la religion qui va avec. En effet, bon nombre de mythes servent à expliquer et justifier un certain nombre de pratiques religieuses, comme par exemple le mythe du sacrifice bovin entre Zeus et Prométhée dans la Théogonie qui explique le pourquoi du comment doivent être partagées les victimes animales des sacrifices lors des cérémonies.
Mais cela va encore plus loin avec le contexte religieux global. La mythologie grecque sert également à donner du relief et des histoires aux différentes divinités principales du panthéon (et bien plus) vénérées via la religion, ceci afin de les anthropomorphiser au maximum et les rendre plus proches de l’être humain qui peut ainsi plus facilement adhérer à l’idéologie religieuse associée. Le critère le plus évident en la matière est la représentation des divinités grecques (Zeus, Athéna, Apollon, … ) principalement sous forme humaine malgré leur pouvoir de polymorphisme qui leur permet de prendre n’importe quelle forme. Cette représentation anthropomorphique ne se limite pas à l’aspect physique, elle va jusqu’aux aspects émotionnels et psychologiques : les divinités grecques dans les mythes sont soumises à la colère, au désir, à la tristesse, à la douleur, à la jalousie, à la rivalité, aux conflits, et même à la fatalité malgré leurs pouvoirs divins. Un autre aspect important sur ce point est le concept des demi-dieux : les divinités grecques peuvent s’unir directement à des mortels pour donner naissance à des êtres de nature hybride qui ont bien souvent un destin sortant de l’ordinaire (comme Persée et Héraklès). Ce rapprochement au niveau charnel entre divinités immortelles et êtres humains mortels contribue lui aussi à rendre plus proche les deux catégories, un point qui peut aider également à renforcer l’adhésion à l’idéologie religieuse associée.
Expliquer et refléter des pratiques sociétales
L’emploi de la mythologie pour expliquer le monde ne se limite pas aux aspects naturels et à la religion, il s’étend aussi aux pratiques sociétales, de l’urbanisme au sport en passant par l’agriculture. Voici quelques exemples concernant la mythologie grecque : la cité d’Athènes nommée d’après le nom de sa déesse poliade Athéna qui l’emporta contre Poséidon, la fondation des Jeux Olympiques par le héros Héraklès, et la culture des oliviers apprise de la déesse Athéna.
Fournir un passé pseudo-historique
Un des usages de la mythologie par les anciens Grecs a également été de mettre en forme leur passé pour se donner une Histoire. En effet, bon nombre d’épisodes mythologiques grecs étaient considérés comme des évènements réels s’étant produit dans un passé lointain. Prenons par exemple le cycle de la guerre de Troie pour le célèbre Hérodote (Vème siècle av J.C) qui la situe chronologiquement dans ses Enquêtes. Un autre aspect des plus parlants sur ce point concerne la royauté de plusieurs cités grecques historiques. C’est le cas notamment de la cité d’Argos, qui occupe une place de choix dans la mythologie grecque, et dont la fondation est attribuée au dieu-fleuve Inachos qui en fut le premier roi. Le pouvoir royal dans cette cité changea ensuite plusieurs fois de dynastie, incluant par exemple celle qui donna naissance au héros Persée (la lignée des Danaïdes) avec son grand-père Akrisios (quinzième souverain d’Argos), mais aussi celle des Atrides avec Oreste fils d’Agamemnon comme vingt-troisième roi. Encore plus parlant, la cité de Sparte avec son régime politique de dyarchie, où les deux rois qui se partageaient la royauté descendaient chacun d’une lignée (les Agiades et les Eurypontides) remontant aux Héraklides, autrement dit au héros Héraklès lui-même (et donc à Zeus). Cet usage de la mythologie grecque dans le cadre politique permit également de fournir des éléments de propagande pour justifier diverses prétentions.
Intégrer des éléments étrangers au niveau culturel et pseudo-historique
La mythologie grecque sert également à incorporer des éléments venant d’autre parties du monde. En effet, les anciens Grecs avaient bien conscience qu’il existait diverses cultures et sociétés en dehors de la leur, dont certaines avec lesquelles ils avaient des contacts réguliers (comme les Phéniciens ou les Égyptiens). La mythologie grecque a ainsi servi à expliquer certaines différences culturelles avec ces diverses sociétés, voire à les mêler à la culture grecque ancienne. Par exemple, dans diverses versions du combat mythologique contre le monstre Typhon, il est dit qu’une majorité des divinités olympiennes s’enfuirent de peur en Égypte où elles se métamorphosèrent en animaux pour se cacher. Les formes animales en question correspondant en grande partie à celles portées par les dieux égyptiens, on peut y voir une volonté d’explication de la part des anciens Grecs au sujet des singularités représentatives des divinités locales, qu’ils ont d’ailleurs associées via ce moyen aux leurs, bien qu’il s’agisse d’une culture différente.
L’intégration d’éléments étrangers ne se limite pas uniquement aux divinités d’autres cultures : la mythologie grecque est même allée jusqu’à intégrer des facteurs étrangers qui sont entrés de plein pied dans l’Histoire de la Grèce ancienne, parfois à travers des personnages clés et très connus. L’un des meilleurs exemples en la matière est le héros Kadmos qui est le fondateur légendaire de la cité grecque de Thèbes, une des plus importantes dans la mythologie grecque, mais aussi de premier plan dans l’Histoire grecque. Si Kadmos est surtout connu pour son combat contre un monstre serpentesque sur le lieu de la future cité, il convient de rappeler qu’il s’agit d’un prince phénicien (venu de la cité phénicienne de Tyr ou de Sidon selon la version) qui à la base cherchait sa sœur Europe enlevée par Zeus sous la forme d’un taureau (ce qui donna la constellation du même nom). Cette dernière, phénicienne aussi, est à l’origine du nom du continent éponyme, mais aussi via la mythologie grecque la source d’une nouvelle lignée royale sur l’île de Crète, qui comprend notamment son représentant le plus connu en la personne du roi Minos qu’elle a eu de Zeus.
Illustrer des tabous de la société
La mythologie grecque sert également à illustrer des sujets qui étaient tabous dans la société grecque ancienne. Il y a principalement trois grands thèmes qui se dégagent en la matière : les crimes de sang familiaux au premier degré, l’inceste au premier degré qui n’a pas le même traitement selon qu’il s’agisse de divinités ou de mortels, et le cannibalisme. À noter que ces tabous peuvent se combiner dans les mythes, et ont également fortement développé l’aura violente et tragique de la mythologie grecque, car dans bien des cas le crime d’une génération a des conséquences qui déteignent sur les suivantes et sur toute la lignée.
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Les crimes de sang familiaux au premier dégré (infanticide, parricide, matricide, fratricide, sororicide, et meurtres conjugaux) sont nombreux dans la mythologie grecque, et ils concernent exclusivement les mortels étant donné que les divinités principales sont immortelles et ne peuvent donc pas mourir. Ces crimes finissent toujours mal, aussi bien pour les victimes (à une seule exception près en la personne d’Iphigénie) que pour les auteurs (à deux seules exceptions près en la personne d’Oreste, et celle d’Héraklès qui eut droit à un traitement spécial), car ils ne peuvent pas rester impunis, même dans la mythologie, ce qui permet de démontrer ainsi qu’il ne faut pas s’engager sur ce chemin. Des divinités grecques infernales spécifiques, à savoir les trois Érinyes (plus connues sous leur nom latin de « Furies »), ont d’ailleurs le rôle de poursuivre jusqu’à la folie l’auteur du crime pour qu’il paye le sang par le sang en se suicidant. Les exemples mythologiques grecs sur ce sujet sont nombreux. Le plus connu étant ce qui a été communément nommé la « malédiction des Atrides », où la lignée du souverain mycénien Atrée, père du célèbre roi Agamemnon, a vécu une succession de crimes de sang de premier degré à chaque génération qui suivit. Depuis Atrée qui fit manger à son frère Thyeste les enfants de ce dernier (afin de le punir de s’être uni à sa femme Aéropé), sachant que les deux frères avaient déjà tué auparavant leur demi-frère Chryssipe sur incitation de leur mère Hippodamie, jusqu’au prince Oreste qui tua sa mère Clytemnestre pour venger le fait que cette dernière avait tué son père Agamemnon qui avait fait sacrifier leur fille Iphigénie au début de la guerre contre Troie. Si les personnages d’Iphigénie (en tant que victime) et d’Oreste (en tant que coupable) s’en sortirent vivants grâce à des interventions divines (respectivement grâce à Artémis et à Athéna), ils restent malgré tout des exceptions en la matière. L’histoire mythologique tragique des Atrides montre clairement qu’il ne faut pas emprunter ce genre de voie qui ne peut que finir très mal.
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L’inceste est très présent dans la mythologie grecque, mais c’est le premier degré (entre parents et enfants, et entre frères et sœurs) qui fait l’objet d’un traitement particulier. Concernant les divinités, l’inceste de premier degré se retrouve essentiellement dans les trois premières générations divines (la première étant sortie de Khaos) jusqu’à celle des Olympiens de Zeus, qui par exemple épouse l’une de ses sœurs (Héra) et s’unit à une autre (Déméter). L’aspect de tabou incestueux de premier degré à dénoncer ne s’applique pas concernant les divinités pour deux raisons principales. D’une part, les dieux n’appartiennent pas au même plan que les mortels et ne sont donc pas soumis aux mêmes lois et conséquences. D’autre part, la faible quantité d’individus présents lors des premières générations divines nécessitait de fait des unions incestueuses pour produire de nouvelles générations dont les descendants eurent souvent des rôles clés dans l’évolution et l’organisation du monde du point de vue mythologique. En revanche, l’inceste de premier degré concernant les mortels est fortement dénoncé dans les mythes grecs et finit toujours très mal. L’un des meilleurs exemples sur le sujet est l’histoire du héros Œdipe qui s’unit sans le savoir à sa mère biologique Épicaste (plus connue sous le nom de « Jocaste ») après avoir tué sans le savoir son père biologique Laïos (donc un inceste de premier degré combiné à un crime de sang de premier degré). Quand la vérité fut dévoilée, Épicaste se suicida par pendaison et Œdipe se creva les yeux avant de finir misérablement sa vie.
AVERTISSEMENT ! Le contenu qui suit traite plus en détails une thématique de forme violente pouvant choquer, à vous de voir si vous souhaitez cliquer malgré tout, vous avez été prévenu.
Le cannibalisme est un autre tabou que la mythologie grecque a servi à illustrer. Il est à noter que cela ne se limite pas seulement à manger de la chair d’un membre de son espèce, cela inclut aussi le fait de servir à quelqu’un d’autre un tel plat. Cette thématique est quantitativement moins représentée dans la mythologie grecque que les deux précédentes, mais elle n’en contient pas moins des exemples très puissants. Du côté des divinités, il y a deux cas dont un contre-exemple. Le premier est le cas assez unique du Titan Kronos (immortel de son état) qui avale d’un coup (et non pas dévore) ses enfants au fur et à mesure qu’ils naissent pour ne pas se faire prendre le pouvoir sur le monde par sa descendance. Bien que cet épisode mythologique soit interprétable de multiples points de vue sur de nombreux détails, et que les divinités ne soient pas soumises aux mêmes lois et conséquences que les mortels, il est à noter ici que le recours à une forme de cannibalisme n’a pas empêché Kronos de subir ce qu’il avait redouté. L’autre cas est un contre-exemple, car il s’agit de l’assimilation de l’Okéanide Métis par Zeus qui l’avala quand elle prit la forme d’une mouche. Ici, le but n’était pas de dénoncer une pratique cannibale, mais d’employer un procédé dont l’issue renforça la nature suprême de Zeus (via l’absorption de l’esprit rusé incarné par la déesse), et qui conduisit également à la naissance de la déesse Athéna. Pour les mortels (et les demi-divinités) en revanche, les châtiments sont plus explicites et directs. Les deux exemples les plus parlants en matière de recours au cannibalisme dans la mythologie grecque sont deux souverains, Lykaon et Tantale, qui proposèrent aux dieux, et notamment à Zeus, de la chair humaine comme repas. Les deux crimes étant de surcroît assez spéciaux et conceptuellement très proches : Lykaon servit son petit-fils à Zeus, le jeune Arkas (le propre fils de ce dernier qui naquit de l’union avec la nymphe Kallisto, elle-même fille de Lykaon), et Tantale (lui-même fils de Zeus), lui servit Pélops, propre fils du souverain et donc petit-fils du chef des Olympiens. Les châtiments furent exemplaires dans les deux cas. Lykaon fut métamorphosé en loup, illustrant au passage l’origine et divers aprioris au sujet de cette espèce animale (le poète latin Ovide ajoute même que Zeus déclencha dans la foulée un déluge pour punir l’humanité). Quant à Tantale, il fut condamné à être enfermé dans Tartare pour y mourir éternellement de faim et de soif devant de l’eau et de la nourriture lui échappant sans cesse.
Entretenir et faire progresser des styles littéraires
Il est un rôle de la mythologie grecque qui saute moins aux yeux et qui a plus trait aux supports de forme sur lesquels elle a pu naviguer et survivre au fil des siècles. En effet, si la mythologie grecque est constituée de récits au sens large, ces récits eux-mêmes s’expriment sous diverses formes, parmi lesquelles se trouve par exemple la poésie. Sur ce point, la forme littéraire la plus ancienne de la mythologie grecque connue à ce jour est l’épopée, une forme poétique suivant des règles métriques précises (dont le fameux hexamètre) qui remonte au moins au VIIIème siècle av J.C pour le monde grec ancien avec la composition de l’Iliade, cette dernière ayant été conçue initialement pour être récitée musicalement à l’oral devant un auditoire. Ce style poétique connut par la suite diverses évolutions et ajustements au fil de l’Histoire (notamment des évolutions des règles métriques ou encore la pose sur du support écrit qui permit des lectures aussi bien publiques que privées pour les personnes y ayant eu accès), et avec souvent la mythologie gréco-latine comme sujet d’expression. L’art de l’épopée grecque avec une thématique mythologique était encore pratiqué au Vème siècle ap J.C (la toute fin de l’Antiquité en Europe, avec notamment les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis), environ treize siècles après la composition de l’Iliade qui resta une référence absolue en la matière.
Divertir et stimuler l’imagination
Terminons en soulignant que la mythologie (et les mythologies en général) a également un rôle de fond, moins circonstancié que les autres mentionnés mais non pas moins essentiel, à savoir la stimulation de l’imagination humaine tout en apportant un certain divertissement et une certaine fascination. En effet, ce n’est pas pour rien que bon nombre de récits mythologiques ont réussi à survivre à travers les siècles et les époques, plusieurs millénaires d’Histoire dans le cas de la mythologie grecque et de l’ensemble gréco-latin. Encore aujourd’hui, la mythologie gréco-latine fascine bon nombre de personnes et sert de matière première au niveau imaginatif de multiples façons (bien trop nombreuses pour les énumérer) sur divers supports. On en retrouve également des références directes et indirectes dans toutes les disciplines.
D’où vient concrètement le contenu de la mythologie grecque dont nous disposons aujourd’hui ?
De divers récits anciens qui ont réussi à survivre jusqu’à nous via divers supports tout au long de l’Histoire. Plus concrètement, ces récits mythologiques grecs (et latins) proviennent essentiellement de manuscrits médiévaux ayant survécu (totalement ou partiellement) jusqu’à notre époque, et auxquels s’adjoignent parfois des fragments de papyrus antiques pour certaines œuvres. Ces manuscrits sont eux-mêmes des recopies tardives de textes encore plus anciens qui eux ont été très souvent perdus dans la grande majorité des cas en raison du caractère périssable de plusieurs supports (comme le papyrus), des conditions de conservation, et des accidents de l’Histoire (incendies et destructions volontaires notamment). On peut donc dire techniquement que nous ne disposons plus depuis très longtemps des versions originales de tous ces mythes grecs.
À côté de ces manuscrits médiévaux et fragments de papyrus, la mythologie grecque (et l’ensemble gréco-latin au global) nous est également parvenue via des vestiges relatifs à la Grèce ancienne, à la Rome ancienne, et plus globalement aux sociétés anciennes qui furent influencées par la culture hellénistique au cours de l’Histoire, par exemple l’Égypte à partir du IVème siècle av J.C suite aux actions d’Alexandre le Grand (356-323 av J.C). Ces vestiges apportent des compléments non-négligeables en la matière : les vases grecs à figures noires et à figures rouges qui offrent des illustrations d’époque grecque ancienne et des noms, les mosaïques latines, les sculptures grecques et latines qui figurent divers personnages mythologiques, et également des vestiges architecturaux tels que ceux des temples où peut apparaître du contenu mythologique reconnaissable malgré les ravages du temps.
La mythologie grecque est-elle incomplète ?
Oui, et c’est un euphémisme malgré le fait qu’une quantité non-négligeable de la mythologie gréco-latine nous soit parvenue. En réalité, une quantité encore plus grande a été perdue de façon définitive, même s’il peut rester des fragments et des titres, et cela sans compter tous les mythes et légendes qui ont disparu à jamais sans que l’on puisse se douter de leur existence (notamment ce qui n’a jamais été posé par écrit). Il est impossible de quantifier la perte totale en la matière. Cependant, on peut prendre ici deux exemples circonstanciés, un auteur et une œuvre, pour donner un début d’idée sur le sujet. Commençons par le tragédien grec Sophocle (496/495 – 406 av J.C), l’un des trois tragiques grecs majeurs d’Athènes : ce dernier est supposé avoir composé cent vingt-trois pièces de théâtre (dont une large majorité de tragédies en lien avec la mythologie grecque), et seules sept ont survécu en intégralité jusqu’à notre époque. Du côté des œuvres, on peut citer la Bibliothèque, une synthèse de la mythologie grecque qui constitue la plus grande compilation antique connue sur le sujet. Composée aux alentours de la période 180-230 ap J.C, cette compilation comprenait à l’origine sept livres, et seuls trois survécurent en version intégrale jusqu’à nous, ainsi qu’un condensé qui traite rapidement du reste manquant et qui est nommé « Épitomé ». Les exemples de ce style sont légions dans le corpus littéraire qui constitue ce qui nous reste de la mythologie gréco-latine.
Et ce n’est guère mieux du côté des œuvres d’art venant de la Grèce ancienne et de la Rome ancienne. Malgré un nombre impressionnant d’artefacts répartis dans les divers musées du monde et dans certaines collections privées, un nombre encore plus grand et incalculable d’objets ont disparu avec le passage des siècles et des millénaires : des peintures sur vase, des statues, des fresques, des sculptures, des mosaïques, des objets votifs ou encore des merveilles du monde comme la statue chryséléphantine (en or et en ivoire) de Zeus à Olympie. Avec la disparition de tous ces objets, ce sont des visuels de la mythologie grecque (et gréco-latine) qui ont disparu en même temps. Pour se donner une idée de la richesse du patrimoine de la Grèce durant la fin de l’Antiquité et avoir des exemples concrets de ce qui ne peut plus être vu de nos jours, l’œuvre grecque Description de la Grèce de Pausanias composée au IIème siècle ap J.C (période déjà tardive où beaucoup de pertes avaient déjà eu lieu) est un incontournable à lire, car l’auteur était aussi un voyageur passionné qui a décrit au maximum tout ce qu’il a pu voir d’intéressant de son point de vue dans les diverses régions grecques (Attique, Arcadie, Élide, …). Et cette œuvre a eu la chance de parvenir jusqu’à nous contrairement à d’autres.
Mythologie grecque ou gréco-latine ?
Voilà une question qui est trop souvent sous-estimée ou ignorée, et le fait de ne pas se la poser renforce le côté anarchique de la mythologie (voir la question à ce sujet plus bas pour plus de matière) où beaucoup de choses sont mélangées par un grand nombre, ce qui contribue à occulter les subtilités de l’ensemble. Il convient donc de proposer quelques points de repère pour s’y retrouver.
Les mots parlent souvent d’eux-mêmes si on prend le temps de les regarder. De ce fait, on peut en toute logique proposer de circonscrire la mythologie grecque, au sens strict du terme, aux récits en lien avec la culture de la Grèce ancienne, composés en langue grecque ancienne et faisant référence à des personnages portant un nom propre grec. Par exemple, les douze travaux d’Héraklès, et non pas d’Hercule qui est la forme latine du nom (celle-ci n’étant pas basée directement sur le grec car elle vient de l’étrusque avec « Hercle »). Du côté des œuvres, l’Iliade (composée vers le milieu du VIIIème siècle av J.C) est la plus ancienne représentante de la mythologie grecque connue à ce jour.
Mais la mythologie grecque eut un tel succès dans l’Histoire qu’elle dépassa largement les frontières de la Grèce (territorialement comme culturellement). Elle fut notamment absorbée par le monde latin, avec en premier chef la civilisation romaine, qui la prolongea et la développa avec de nouveaux contenus. Ainsi, des récits antiques composés en latin, mais se référant à des mythes et des personnages provenant de la mythologie grecque, renforcèrent le corpus purement grec (qui continua d’évoluer en parallèle) à partir du IIIème siècle av J.C où eut lieu une première traduction de l’Odyssée en latin. Cela offrit une branche latine à la mythologie grecque où les personnages peuvent y prendre un nom latin (Jupiter au lieu de Zeus par exemple). C’est cela qui fait qu’on peut parler de mythologie gréco-latine, qui est de fait un ensemble. Cet ensemble est parvenu jusqu’à nous de manière partielle comme évoqué plus haut (œuvres grecques comme latines). Il porte parfois le nom de mythologie « classique » du fait que notre société porte encore en elle une part d’héritage importante en lien direct avec l’Antiquité grecque et romaine qui a traversé les siècles. Ainsi, employer les noms propres latins tels que « Hercule » ou « Ulysse » (la forme basée sur le grec est « Odyssée », d’où le nom de l’œuvre éponyme qui est intitulée d’après le nom de son héros) fait basculer de la mythologie grecque vers la mythologie gréco-latine. De même que de traiter de mythes et légendes ayant été développés dans des textes grecs comme latins : les aventures de Jason et les Argonautes, les Sept contre Thèbes, la guerre de Troie, etc. Selon la version qu’on emploie à leur sujet (grecque ou latine ou les deux), on peut être dans la mythologie grecque stricte ou glisser dans la gréco-latine. Distinguer et organiser les sources grecques et latines propres aux récits mythologiques qu’on souhaite creuser dans le détail permet de bien mieux comprendre l’ensemble.
Soulignons également le fait qu’il y a aussi une mythologie latine au sens strict du terme. Ici, c’est le héros troyen Énée qui fait principalement la transition par rapport au bloc grec : à partir de ses aventures en Italie (décrites essentiellement dans l’Énéide), on rentre de plein pied dans la mythologie latine (bien que le personnage appartienne à la mythologie grecque à la base), car ces développements sont propres à la culture romaine, et exclusivement en langue latine en l’état actuel des choses. L’histoire des jumeaux Romulus et Rémus, dont on a attribué au premier la fondation de Rome et la première royauté sur la cité, est typiquement un autre exemple de mythologie latine pure.
Tout cela peut paraître anecdotique, mais il est délicat d’appréhender dans le détail la mythologie grecque sans procéder à ce type de réflexion, surtout quand on souhaite l’étudier dans son ensemble. La rubrique « Mythes et légendes » de ce site intègre cette réflexion dans sa conception, ainsi que celles sur les œuvres sources et les compositeurs anciens.
Enfin, voici une proposition d’organisation chronologique du contenu d’où provient la mythologie gréco-latine pour illustrer le propos développé au sujet de cette question :

La mythologie gréco-latine a-t-elle subi des transformations notables à travers les siècles ?
Oui, des transformations, ou plutôt des évolutions, de diverses natures et surtout dans la forme. La pose des mythes sur le support écrit, alors qu’ils appartenaient à l’oralité encore à l’époque de la composition de l’Iliade (vers le milieu du VIIIème siècle av J.C), est par exemple l’une de ces évolutions qui contribuèrent à développer la mythologie gréco-latine vers de nouvelles possibilités et directions. Pareillement avec le théâtre grec, dont le genre tragique, qui offrit de nouvelles façons de mettre en scène les récits mythologiques.
En terme de contenu, il faut rappeler à nouveau ici que les textes mythologiques dont nous disposons sont essentiellement des recopies médiévales de copies plus anciennes, qui ne remontaient d’ailleurs pas forcément à l’époque de la composition originelle. Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer qu’il n’y ait pas eu la moindre transformation sur ces textes par rapport aux originaux. Les diverses versions de plusieurs récits dans la mythologie gréco-latine, et même les scholies (des notes) laissées dans les manuscrits médiévaux par les copistes du Moyen-Âge, témoignent de ces transformations et évolutions.
Cela est logique en réalité, car la mythologie est aussi le reflet de l’imagination humaine par rapport à un contexte environnemental complexe et multi-factoriel qui évolue avec le temps. Il est donc normal qu’elle aussi soit adaptée en conséquence, notamment dans ses détails de forme.
La mythologie gréco-latine est-elle aussi désordonnée qu’on le dit ?
Voici une question qui nécessite une double réponse.
Oui…
C’est une impression qu’on peut effectivement ressentir très facilement. Malgré toutes les pertes subies au fil de l’Histoire, le contenu mythologique gréco-latin qui est parvenu jusqu’à nous n’en reste pas moins énorme, et il est aisé de s’y perdre quand on plonge dedans. On peut citer parmi les divers aspects qui renforcent cette impression ceux-ci :
- des milliers de personnages très variés
- différentes versions (parfois contradictoires dans les détails) d’un même mythe ou d’une même légende
- plusieurs personnages qui peuvent porter exactement le même nom propre
- le mélange grec et latin
- des arbres généalogiques compliqués à appréhender (avec des âges inconnus)
- une chronologie interne des évènements difficile à saisir
- des cycles plus complexes que d’autres dans les détails et le nombre de protagonistes
- plusieurs références mythologiques venant de textes non-mythologiques dans leur conception
- plusieurs auteurs anciens n’ayant pas eu de réel souci de cohérence et qui ont mélangé divers épisodes mythologiques
- les pertes dans le corpus littéraire qui ont généré des trous dans les données
- les multiples interprétations possibles au sujet de divers récits
- un facteur plus contemporain avec un manque quantitatif d’ouvrages de vulgarisation tenant compte de cette problématique : la grande majorité se focalise en général sur les récits les plus populaires sans forcément chercher à leur donner une cohérence par rapport à l’ensemble mythologique gréco-latin
Pourrait-on donner une cause racine à un tel constat ? En réalité, c’est assez logique si on tient compte du rôle des mythes qui servent à illustrer et expliquer des concepts essentiels pour un groupe d’humains (comme le fonctionnement du monde). Pour faire une analogie contemporaine avec le secteur informatique, on pourrait parler du concept « open source » (« source ouverte » en français) où on peut reprendre le code source d’un logiciel pour l’analyser, le remanier, voire développer sa propre version. Si on y réfléchit bien, les mythes fonctionnaient déjà sur ce principe : tout le monde pouvait développer sa propre version des récits qui étaient diffusés et communs, même si d’autres avaient déjà réalisé des œuvres. S’ajoute à cela l’évolution multi-factorielle de l’Histoire qui a donné au fil des siècles de nouveaux éléments à l’imagination humaine et donc aux mythes qui en découlent, et qui permit également la diffusion de la mythologie grecque à une large échelle, renforçant par la même l’apport en la matière. C’est ce qui peut expliquer par exemple les différentes versions sur divers récits (avec plusieurs siècles d’écart dans bien des cas). Après tout, plusieurs compositeurs de mythes grecs (des mythographes pour la partie écrite) dont nous connaissons l’identité ne vivaient pas en Grèce, mais dans un lieu où la culture grecque était influente. Cette dernière ayant réussi à séduire Étrusques et Romains pour ne citer qu’eux. Et l’Iliade, malgré son aura millénaire, n’a heureusement jamais eu le monopole du traitement des récits au sujet de la guerre de Troie.
… et non
Malgré un aspect désordonné facilement perceptible, la mythologie gréco-latine n’est pas si anarchique que ça quand on prend du recul, et on peut s’apercevoir qu’elle possède divers degrés de cohérence qui peuvent permettre de l’organiser de diverses façons. La tâche peut paraître difficile, voire futile, mais en employant les bons angles d’approche combinés à une certaine motivation (et à un certain temps), il est possible de dégager des résultats très intéressants et sans avoir recours à une analyse poussée de la signification des mythes. Il sera développé ici deux axes majeurs : le contenu intrinsèque de la mythologie gréco-latine, et la mythologie gréco-latine dans sa substance historique (autrement dit par rapport à l’Histoire).
Si l’on se focalise sur le contenu pur de la mythologie gréco-latine, il existe une chronologie interne pour s’y retrouver et mieux comprendre l’enchaînement des récits (même s’ils viennent de textes et de compositeurs différents). Cette chronologie interne ne saute pas nécessairement aux yeux en dehors de certains textes comme la Théogonie d’Hésiode, mais elle est pourtant présente et transcendante en bien des points. Voici quelques repères pour illustrer le propos, et où la généologie peut aussi aider à s’y retrouver :
- La mythologie grecque commence intrinsèquement avec la naissance des divinités primordiales (telles que Gaïa) qui sortent de Khaos
- La prise de pouvoir de Zeus se situe à l’issue de la Titanomachie (guerre contre les Titans) où il renverse son père Kronos
- Danaos et ses cinquante filles (les Danaïdes) sont antérieurs à Persée qui est un de leurs descendants
- Les aventures de Persée se situent bien avant celles d’Héraklès car c’est son arrière grand-père maternel (tout en étant son demi-frère du côté paternel)
- Les aventures de Kadmos se passent avant la naissance d’Héraklès, et la naissance de Dionysos (son petit-fils) a lieu de son vivant
- Les aventures d’Œdipe se déroulent après Kadmos et avant la naissance d’Héraklès
- Les aventures de Jason et des Argonautes se situent pendant le début des travaux d’Héraklès
- Thésée est contemporain d’Héraklès mais plus jeune
- La mythologie grecque se termine intrinsèquement avec la guerre de Troie, le retour des champions achéens ayant survécu, et leur fin de vie pour certains (voire quelques informations sur certains de leurs descendants)
- Après cela, la mythologie gréco-latine rejoint l’Histoire, avec par exemple le retour des Héraklides (les descendants d’Héraklès) pour le passé lointain de Sparte, ou encore Énée pour le passé lointain de Rome
Bien entendu, plusieurs mythes et légendes ne sont pas forcément raccordables à cette chronologie intrinsèque globale du fait qu’aucun de leurs détails ne se prête à l’exercice. Et il y a aussi des personnages supposément mortels ou semi-mortels qui posent problème, car il faudrait qu’ils aient une longévité exceptionnelle pour avoir une généalogie cohérente en certains endroits. Néanmoins, cela n’affaiblit pas l’intérêt d’avoir recours à cette chronologie intrinsèque qui permet de mieux s’y retrouver et d’appréhender l’ensemble mythologique gréco-latin.
Par ailleurs, se concentrer sur le contenu interne de la mythologie gréco-latine n’est pas le seul moyen de procéder pour redonner de l’ordre à l’ensemble. Une autre approche, plus externe dans la démarche, consiste à replacer son contenu par rapport à son contexte historique varié. Dans les faits, cela amène pour chaque récit qu’on souhaite étudier à regarder de quelle(s) œuvre(s) il provient, et à quelle époque remonte la composition. Un des avantages de cette méthode est de bien mieux comprendre les diverses versions, parfois contradictoires, de plusieurs mythes et légendes. Le but n’étant pas de dire qu’une version est nécessairement mieux qu’une autre, mais au contraire de bien saisir les caractéristiques propres à chacune (certaines des fiches de ce site offrent des exemples sur ce sujet), leur évolution au fil du temps, et au besoin mettre en avant celle(s) qui correspond(ent) le mieux à l’angle de lecture choisi tout en ayant conscience des autres. Dans le cadre de cette démarche, il y a par exemple le fait de penser mythologie grecque ou gréco-latine qui est l’un des moyens possibles : cette question est traitée plus haut, et la frise chronologique qui s’y trouve est aussi une illustration du propos évoqué ici : cette frise offre une tentative de vision pour mieux comprendre l’ensemble mythologique gréco-latin en replaçant dans l’Histoire via la chronologie le support des mythes qui nous sont parvenus, à savoir les œuvres anciennes composées en grec ancien et en latin.
Quelles sont les origines lointaines de la mythologie grecque ?
La mythologie grecque, dans la forme où nous la connaissons, n’est pas la mythologie la plus ancienne connue du monde. Comme bien d’autres choses, elle aussi puise ses origines très loin dans la passé et en divers facteurs qui incluent des emprunts à d’autres cultures. Pour tenter d’approcher au mieux cette question, distinguons la forme du fond.
Origines de forme
Si l’on se tenait à la plus ancienne œuvre de la mythologie grecque connue à ce jour, à savoir l’Iliade composée vers le milieu du VIIIème siècle av J.C, sa forme originelle serait la poésie épique récitée à l’oral avec un accompagnement musical, et devant un public connaissant le sujet. Mais cela est plus compliqué dans les faits, car la tradition orale, dans le sens transmission du savoir, est bien antérieure. Bien qu’on ne puisse la dater avec précision, elle doit remonter largement à la Préhistoire.
Pour ce qui est de l’aspect de poésie épique, plus communément appelée « épopée », la pratique remonte quasiment au début de l’Histoire pendant l’âge du Bronze au sein de certaines civilisations mésopotamiennes (entre l’Euphrate et le Tigre) : les Sumériens en premier lieu, puis les paléo-Babyloniens. L’exemple le plus célèbre en la matière étant l’épopée du souverain Gilgamesh (« Bilgameš » en sumérien) de la cité d’Uruk (« Unug » en sumérien, la plus ancienne cité connue à ce jour, et porteuse d’une culture pré-sumérienne à cheval sur la Préhistoire et l’Histoire sur la période 4000-2900 av J.C dite « période d’Uruk »). Cette épopée est actuellement la plus ancienne du genre et possède une double origine : une sumérienne avec divers poèmes ayant survécu de manière partielle, et une paléo-babylonienne (qui reprit le fonds sumérien pour en faire un ensemble plus cohérent narrativement) ayant survécu à moitié. Concernant les Sumériens, leur civilisation couvre la période 2900-2003 av J.C environ, et les paléo-Babyloniens (vers 2003-1595 av J.C) composèrent leur épopée de Gilgamesh à l’époque des XVIIIème et XVIIème siècles av J.C. Il est assez clair que ces intervalles de temps sont largement antérieurs à la composition de l’Iliade, à peu près d’un millénaire au minimum. Même si l’on tient compte des supports écrits ayant transmis la version paléo-babylonienne, à savoir douze tablettes, onze d’entre elles furent rédigées vers 1200 av J.C, ce qui reste aussi antérieur à l’Iliade.
Concernant le genre de l’épopée au niveau de la Grèce elle-même, bon nombre d’indices (trop nombreux à détailler ici) sur divers aspects (linguistiques notamment) tendent à suggérer que cette pratique pourrait remonter au moins au millénaire précédent durant l’âge du Bronze avec la civilisation dite « mycénienne » (nommée d’après la cité grecque de Mycènes) qui caractérisa la Grèce continentale (puis l’île de Crète) sur la période 1650-1050 av J.C environ. Cette civilisation est la première où l’on retrouve des traces écrites d’une forme de langue grecque transcrite via un système syllabaire nommé « linéaire B », les plus anciennes se situant au XVème siècle av J.C à l’heure actuelle. C’est donc la plus ancienne civilisation de langue grecque connue à ce jour. Il n’est pas inconcevable d’imaginer que les représentants de cette culture possédaient déjà une tradition orale employant l’épopée pour narrer leurs mythes, bien que nous n’en ayons retrouvé aucun de cette époque. Un certain nombre d’éléments de contenu vont aussi en ce sens (voir les origines de fond plus bas). Auquel cas, l’Iliade, mais aussi la pratique de l’hexamètre (typique des épopées grecques anciennes), seraient les héritières de pratiques antérieures remontant aux Mycéniens.
Quant au format du mythe, de récits ou de la parole autrement dit (voir étymologie plus haut), la pratique doit remonter à la Préhistoire, et il est impossible de la dater avec précision. Et pour ce qui a trait aux détails de forme plus spécifiques tels que la représentation des divinités (comme leurs attributs), les sources d’inspiration sont à chercher dans l’environnement au sens large : paysages naturels ou pratiques culturelles notamment. Prenons un exemple simpliste pour illustrer le propos : ce n’est pas un hasard si l’olivier est un des attributs de la déesse Athéna. Cet arbre, typique du bassin méditerranéen, a joué (et joue toujours) un rôle important grâce à ses fruits qui, en plus d’être comestibles, permettent de produire de l’huile pour de multiples usages (alimentaire, hygiénique, combustible, etc). Il paraît donc logique que les anciens Grecs l’aient intégré dans leur mythologie en en faisant l’attribut d’une déesse de premier plan, le tout illustré par un mythe racontant l’origine de l’arbre (le concours entre Athéna et Poséidon pour la suprématie sur la cité d’Athènes).
Origines de fond
Les origines de fond de la mythologie grecque sont multiples et vastes. Afin d’organiser au mieux le propos, une vision géographique va servir de cadre : la zone égéenne (celle de la mer Égée qui contient notamment la Grèce continentale, l’île de Crète et les îles Cyclades), et les influences extérieures (notamment asiatiques).
Si l’on commence par se focaliser sur la Grèce elle-même, et plus globalement sur la zone égéenne dont elle fait partie, la thématique des origines de fond de la mythologie grecque nous amène à s’intéresser à la période de l’âge du Bronze en Méditerranée orientale. Parlons en premier lieu de la civilisation dite « mycénienne » (nommée d’après la cité grecque de Mycènes) qui caractérisa la Grèce continentale (puis l’île de Crète) sur la période 1650-1050 av J.C environ, soit une bonne partie du IIème millénaire av J.C qui précède la composition de l’Iliade (vers le milieu du VIIIème siècle av J.C). Comme évoqué au sujet des origines de forme, cette civilisation est la première où l’on retrouve des traces écrites d’une forme de langue grecque transcrite via un système syllabaire nommé « linéaire B », les plus anciennes se situant au XVème siècle av J.C à l’heure actuelle. Bien que ces textes ne contiennent pas de traces de mythes ou de légendes de l’époque, ils comportent en revanche quasiment tous les noms des divinités grecques principales de la mythologie grecque du millénaire suivant. Ainsi, Zeus, Héra, Poséidon, Athéna, Arès, Hermès, et d’autres encore existaient déjà dans un contexte religieux. Certains (Zeus et Poséidon) avaient même une version féminine portant le même nom mais accordé dans le genre en question. Quelques divinités de la mythologie grecque ne sont pas citées dans ces textes de l’âge du Bronze (Déméter, Apollon, Aphrodite et Hadès notamment), mais leur absence est explicable au cas par cas (certaines avaient un équivalent sous un autre nom, et d’autres sont des divinités importées de l’étranger par la suite). Même si ces divinités n’étaient pas forcément exactement les mêmes que celles que nous connaissons, de là à penser qu’il devait y avoir une mythologie qui leur était associée et qui serait l’une des origines de fond de la mythologie grecque, il n’y a qu’un pas. Ce lien de fond avec la culture grecque mycénienne se retrouve également directement dans le contenu de la mythologie grecque (notamment dans le cycle de la guerre de Troie) : l’Iliade contient par exemple des références directes à des objets typiques de la culture mycénienne (comme le casque à défenses de sanglier que Mérion offre à Odyssée, ou encore le grand bouclier en forme de tour d’Ajax le Grand). Il y a aussi le catalogue des vaisseaux achéens (au chant II de l’Iliade) qui témoigne d’une réalité géographique que l’on retrouve en grande partie durant la civilisation mycénienne via l’archéologie. L’importance des cités grecques comme Thèbes ou Mycènes dans les cycles de la mythologie grecque semble bien être également un écho de leur puissance au cours de l’époque mycénienne : par exemple Mycènes, à la tête de la coalition contre Troie via son roi Agamemnon, est dite « riche en or » dans l’Iliade, et il s’avère que la Mycènes historique à l’époque mycénienne avait une activité d’orfèvrerie sans équivalent en Grèce en matière d’or et d’ivoire en l’état actuel des connaissances.
Toujours dans la zone égéenne, il convient de parler de l’île de Crète. Celle-ci a porté durant son histoire à l’âge du Bronze une civilisation millénaire bien antérieure à la mycénienne, ayant côtoyé et influencé fortement cette dernière, avant de se faire absorber par elle durant la deuxième moitié du IIème millénaire av J.C. Il s’agit de la civilisation dite « minoenne » (nommée d’après le roi légendaire Minos), qui couvre environ la période 3200/2900 – 1000 av J.C (son histoire se mêle à la civilisation mycénienne à partir de vers 1450 av J.C). La Crète occupe une place de choix dans la mythologie grecque, avec notamment le mythe du labyrinthe et du Minotaure, mais aussi avec son plus célèbre roi en la personne de Minos (fils de Zeus et d’Europe) qui devient le chef des juges des Enfers après sa mort. Sur cette thématique, il y a un exemple très concret pour illustrer le propos : l’architecture du palais de Knossos (découvert via l’archéologie au tout début du XXème siècle), capitale de Minos dans la mythologie grecque et cité historique ayant eu une hégémonie certaine durant l’époque minoenne, contient un niveau de complexité très singulier qui peut faire penser à une sorte de labyrinthe où il est difficile de s’y retrouver. Un autre exemple mythologique témoignant de l’importance de la Crète : c’est très souvent la région associée à la naissance et à l’éducation de Zeus, le dieu suprême du panthéon grec. On peut donc conjecturer sans trop de risque que l’île de Crète compte bien parmi les origines de fond de la mythologie grecque.
Par ailleurs, la mythologie grecque compte parmi ses origines de fond des facteurs extérieurs, antérieurs et contemporains à elle, qui sont en lien avec les mouvements de population et les échanges culturels qu’eurent les anciens Grecs avec d’autres peuples. Les civilisations minoennes et mycéniennes eurent elles aussi de tels échanges en leur temps. Sur cet aspect, ce sont les facteurs asiatiques qui se distinguent nettement, en particulier la Mésopotamie (entre l’Euphrate et le Tigre) avec notamment les cultures sumérienne et babylonienne (elle-même héritière de la culture sumérienne sur de nombreux points, en particulier la mythologie). Les ressemblances entre la mythologie grecque et les mythologies sumérienne et babylonienne sont assez nombreuses pour être remarquées (malgré des formes relatives à leurs contextes respectifs), que ce soit au niveau des mythes ou des personnages divins. Citons comme simple exemple l’épisode d’un déluge envoyé par les divinités sur les êtres humains créés à leur image, et où il y a des survivants chargés de repeupler le monde par la suite. Il y a aussi certaines similitudes avec la mythologie hittite d’Anatolie, avec par exemple le mythe d’Illuyanka qui fait penser au mythe grec de Typhon, ou encore avec la mythologie hourrite et le « Chant de Kumarbi » au niveau de la naissance des premières divinités. Par ailleurs, on peut citer des exemples de divinités importées, comme Aphrodite qui est venue du Moyen-Orient via le Proche-Orient, d’où sa place de premier plan avec l’île de Chypre en matière de mythologie grecque. Autre exemple tout aussi intéressant : le dieu Apollon a l’une de ses origines avec un dieu louvite de l’âge du Bronze qui était protecteur de la cité historique de Wilusa (Troie) en Anatolie d’après les textes hittites, et qui se nommait « Apaliunas ». Cela est un facteur à prendre en compte dans le fait qu’Apollon soit le dieu protecteur principal de Troie durant la guerre mythologique en rapport.
Enfin, soulignons également la perspective indo-européenne qui peut donner des pistes sur certaines origines de fond très lointaines à propos de quelques thématiques de la mythologie grecque. Cette dernière offrant des points de comparaison intéressants avec d’autres mythologies (notamment au niveau des personnages) appartenant à l’ensemble indo-européen. Par exemple dans la comparaison entre Zeus et le dieu indien Indra. Il est à noter que ce type de comparaison dans ce cadre ne se limite pas à un aspect mythologique, il porte sur un périmètre culturel plus large qui peut inclure également religion et linguistique.
Y a-t-il plusieurs niveaux de lecture de la mythologie gréco-latine ?
Oui, énormément même. Du côté des analyses externes, on peut l’étudier et/ou s’y référer de tellement de points de vue différents (qui peuvent se combiner) sur diverses thématiques : histoire, religion, littérature, sociologie, philosophie, ésotérisme, géographie, ethnologie, philologie, archéologie, psychologie, symbolisme, arts plastiques, astronomie, zoologie, scénarii, comparativisme avec d’autres cultures, etc. Mais il faut toutefois se méfier d’un danger qui guette quand on procède de la sorte, à savoir celui d’analyser de manière trop subjective la mythologie gréco-latine avec son point de vue d’être humain du XXIème siècle sans la remettre un minimum dans son contexte. Il est toujours très/trop facile de porter un jugement et de critiquer des choses appartenant à un passé qui n’a pas été connu par le présent, ce qui conduit souvent à refaire l’Histoire, et sans s’en rendre compte. Remettre la mythologie gréco-latine dans son contexte d’époque est essentiel si l’on souhaite en approcher tous les tenants et aboutissants pour en comprendre les multiples caractéristiques qui lui ont permis de traverser les siècles.
Du côté du contenu intrinsèque de la mythologie gréco-latine, on peut le lire de deux manières : micro-lecture et macro-lecture. Si l’on reste au niveau de la micro-lecture, chaque récit est lu en tant que tel sans réellement chercher à aller plus loin que le premier degré, autrement dit en tant que simple histoire. C’est par là que commence en général toute initiation à la mythologie gréco-latine quand on la découvre (avec les douze travaux d’Héraklès par exemple). Pour la macro-lecture, l’objectif est d’essayer de penser au-delà de chaque mythe pour voir les différentes versions et significations, voir s’il y a des points de liaison possibles avec d’autres (via les personnages par exemple), jusqu’à replacer cela dans une perspective plus vaste qui se base sur des axes majeurs globaux de la mythologie. Si l’on prend par exemple comme axe de fond les spécificités du kosmos (l’ordre) que Zeus mit en place suite à sa prise de pouvoir à l’issue de la Titanomachie (la guerre contre les Titans), la naissance et les exploits de certains de ses enfants, tels que Persée et Héraklès, prennent une signification bien plus large que celle de héros qui arrivent à tuer des créatures.
Qu’est-ce qui caractérise la mythologie gréco-latine dans les grandes lignes si on devait résumer ?
Sans forcément la comparer aux autres mythologies polythéistes, on peut évoquer ces aspects au sujet de la mythologie gréco-latine :
- une quantité phénoménale de personnages et de récits de diverses natures (malgré les pertes)
- une variété littéraire dans les œuvres sources (épopées, hymnes, poèmes didactiques, manuels, fables, etc)
- un équilibre assez marqué dans les effectifs divins entre les personnages masculins et féminins
- des divinités principales immortelles ayant la capacité de polymorphisme (une capacité qu’ont aussi plusieurs divinités secondaires)
- des divinités actives (dieux comme déesses) à divers niveaux, et qui peuvent agir directement avec les humains en étant à leurs côtés (déguisées ou non)
- des héros (demi-dieux et mortels) aux aventures variées : combats contre des créatures, exploits surhumains, voyages et campagnes militaires notamment
- une chronologie interne relative permettant de donner un minimum de cohérence à l’ensemble
- son contenu hétérogène millénaire, fruit de plusieurs siècles d’évolution et d’assimilation
- son empreinte et sa présence dans de multiples domaines de la vie contemporaine des sociétés occidentales
Et les autres mythologies alors ?
La mythologie gréco-latine n’est pas la seule mythologie du monde, fort heureusement, il y en a bien d’autres dont des traces ont survécu jusqu’à nous. Cependant, rares sont celles dont le contenu a eu la chance de garder autant de matière au travers des siècles (sachant que la mythologie gréco-latine a elle-même perdu énormément). Néanmoins, cela ne remet pas en question l’intérêt des autres mythologies qui n’ont rien à envier à la gréco-latine en tant que telle, tout simplement par le fait qu’elles appartiennent à d’autres contextes historiques. Mais cela n’empêche pas de faire des comparaisons entre elles qui peuvent être très pertinentes sur certains aspects. Par exemple sur les explications relatives au fonctionnement du monde : que ce soit de la mythologie grecque ou une autre ne change pas la démarche. Soulignons également que les autres mythologies n’appartiennent pas toutes forcément à l’Antiquité (vers 3300 av J.C – 476 ap J.C).
Voici une liste non exhaustive de mythologies et de groupes mythologiques (hors gréco-latine) polythéistes par rapport aux continents du monde. Les titres de certaines œuvres sources seront parfois mentionnés dans quelques cas.
Europe
- mythologies celtiques
- mythologies celtiques continentales
- mythologie celtique gauloise
- mythologies celtiques insulaires
- mythologie celtique irlandaise : les Tuatha Dé Danann et la Razzia des Vaches de Cooley
- mythologie celtique galloise : les Quatre Branches du Mabinogi
- mythologies celtiques continentales
- mythologies germaniques
- mythologie germanique continentale
- mythologie nordique : la Völsunga saga et l’Edda en prose
- mythologie étrusque
- mythologie slave
Asie
- mythologies mésopotamiennes
- mythologie sumérienne et suméro-akkadienne
- mythologie babylonienne : l’Épopée de Gilgamesh et l’Enūma eliš
- mythologie assyrienne
- mythologies anatoliennes
- mythologie hourrite
- mythologie hatti
- mythologie hittite
- mythologie louvite
- mythologie phrygienne
- mythologie ougaritique
- mythologie phénicienne
- mythologie perse : l’Avesta
- mythologies caucasiennes
- mythologie ossète : l’Épopée des Nartes
- mythologie tibétaine
- mythologie hindoue : le Rāmāyana et le Mahābhārata
- mythologie mongole
- mythologie chinoise : le Shanhaijing
- mythologie coréenne
- mythologie japonaise : le Kojiki et le Nihon shoki
Afrique
- mythologie égyptienne
- mythologie berbère
- mythologie dogon
Amérique
- mythologies amerindiennes
- mythologies amazoniennes
- mythologie cashinahua
- mythologie maya : le Popol Vuh
- mythologie aztèque
- mythologies andines
- mythologie inca
- mythologie inuite
Océanie
- mythologie aborigène
- mythologie maori
- mythologies polynésiennes
- mythologie tahitienne
Et la « mythologie arthurienne » dans tout ça ?
Les aventures du roi Arthur et de ses chevaliers de la Table Ronde font partie des sujets les plus célèbres en matière d’histoires légendaires où l’on se demande s’il y a une part de vérité derrière tout ça. Quand on veut traiter ce thème par rapport à la thématique mythologique, les choses ne sont pas aisées. En effet, les récits au sujet du roi Arthur (personnage fictif et composite), divers et contradictoires pour certains, sont avant toute chose plus de l’ordre de la littérature médiévale européenne que d’un ensemble mythologique tel que le gréco-latin ou l’égyptien, et cela bien qu’ils contiennent des bribes d’Histoire (cachées derrière le légendaire) et des données réelles (trop nombreuses à détailler ici), ainsi qu’un fond de culture celtique. Même si le cycle arthurien est l’un des deux associés à la littérature galloise au niveau de la matière première de la mythologie celtique galloise, les aventures arthuriennes diffèrent en raison de leur conception littéraire spécifique. Il faut voir cela comme des thématiques celtiques (incluant effectivement des aspects mythologiques) qui ont été reprises comme sources d’inspiration et adaptées aux spécificités du Moyen-Âge dans un contexte chrétien.
Néanmoins, si l’on se place dans une perspective plus intrinsèque des aventures arthuriennes, en tant que cycle littéraire, on pourrait effectivement parler de « mythologie arthurienne ». Ce propos par rapport à un tel cadre est discuté dans la question suivante.
Peut-on parler de « mythologie » aujourd’hui par rapport à des productions de notre époque ? Par exemple au sujet du « lore » d’une œuvre littéraire ou cinématographique ?
Une question intéressante dont les réponses peuvent là aussi varier selon les points de vue. Un double propos sera développé sur le sujet.
Si l’on se tient strictement aux définitions des termes « mythologie », « mythe », et « légende », la réponse serait non. Les œuvres littéraires et cinématographiques sont de l’ordre du divertissement pour une large part. Donner un passif à des personnages fictifs ou à un monde/univers fictif (la notion de « lore » en général, qui signifie « tradition » en anglais) dans une histoire ne suffit pas à parler de mythologie comparable à celles qui viennent des cultures de l’Histoire humaine qui ont cherché à expliquer le monde réel (sans parler du fait que d’autres moyens d’expliquer le monde et les sociétés ont pris la relève à notre époque). Mais ces œuvres littéraires et cinématographiques peuvent largement avoir recours à la matière première fournie par les mythologies, surtout la matière fantastique en tant que source d’inspiration, permettant ainsi un remaniement de forme et une adaptation au contexte du moment et aux choix artistiques. Après tout, c’est l’un des facteurs qui fait que les mythologies, notamment la gréco-latine, sont assez passe-partout, car le contenu parle à beaucoup de monde. Et cela n’est pas spécifique à notre époque : la pratique remonte déjà au Moyen-Âge (476-1453) où certains grands cycles de la mythologie grecque furent adaptés dans le contexte du moment, avec par exemple le Roman de Troie (composé vers 1160-1170) de Benoît de Sainte-Maure où les héros achéens et troyens deviennent des chevaliers médiévaux. Ainsi, la mythologie gréco-latine continue d’être réutilisée, mais de façon plus circonscrite à l’ordre du divertissement et de la création artistique en général. Sa forme est remaniée, mais non dans les mêmes objectifs initiaux qu’aux temps majeurs de son développement où elle servait à expliquer le monde, ou encore les pratiques religieuses du point de vue de la société de l’époque (voir la question au sujet des rôles de la mythologie pour plus de détails). Ces remaniements ne sont donc pas de la mythologie au sens strict. En revanche, ils contribuent à maintenir sa diffusion, malgré le fait que la matière première se fait de plus en plus distante.
Cependant, on pourrait malgré tout employer le terme de « mythologie » au sujet de certaines œuvres littéraires ou cinématographiques, mais depuis une perspective interne, dans le sens où des mythes et des légendes spécifiques, ayant les rôles évoqués plus haut, ont été créés à l’intérieur du monde fictif en rapport. Des sortes de « mythologies littéraires » et/ou « mythologies cinématographiques ». Prenons un exemple précis pour illustrer le propos avec le monde littéraire assez connu du Seigneur des Anneaux de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973). Au sein du monde littéraire fantastique qu’il créa, il faut tout d’abord noter que l’auteur eut beaucoup recours à la matière première mythologique, notamment germanique. Mais il alla bien plus loin en développant tout un ensemble de mythes et de légendes intrinsèques, particulièrement visibles dans le Silmarillion par exemple, qui lui servirent à expliquer l’origine de la Terre du Milieu, ses divinités, ses peuples, leurs histoires, leurs pratiques sociétales, etc. Il ne paraît donc pas choquant de parler de « mythologie de la Terre du Milieu » si l’on a pour contexte l’univers fictif de John Ronald Reuel Tolkien.